The Savant, l’histoire d’une geek-mama à l’ère de la haine en ligne : James Bond avait Q, l’Amérique a Jo !


Fidèle à son style, la scénariste Melissa James Gibson (House of Cards) sort l'artillerie lourde avec cette mini-série en huit épisodes dont la tête d'affiche n'est autre que la talentueuse Jessica Chastain (Miss Sloane). Celle-ci incarne Josephine (« Jo») alias The Savant, mère de famille ordinaire le jour et infiltrée de génie la nuit. Inspirée d'un article du Cosmopolitain paru en 2019, cette histoire d'une vérité glaçante prend la forme d’un thriller socio-politique. On prend plaisir à y voir Chastain jongler entre American way of life et cyber-investigation, de quoi rivaliser avec les séries du genre (Adolescence) ?

« Une enquêtrice top-secret (Jessica Chastain) connue sous le nom de la Savante, infiltre des groupes de propagande haineuse en ligne pour faire tomber les hommes les plus violents du pays. »

Une héroïne sortie d’un article

"Quoi de plus glaçant qu'une histoire inspirée d'un fait divers ?" La logline de The Savant reprend mot pour mot le chapeau de l'article du Cosmopolitan. L'histoire suit le quotidien d'une surdouée du web et agent du FBI déjouant un attentat en infiltrant des groupes haineux en ligne, rappelant que la liberté d'expression demeure un combat de chaque instant. A l'image de la série, le mystère entoure les activités de Jo et son secret l'isole de ses proches. La véritable Savant en témoigne : ni sa famille ni ses amis ne connaissent la nature de sa véritable mission. Elle vit en faisant profil bas, aucune photo d’elle ne circule sur Internet. C'est le black-out identitaire.

Fidèle à ses choix engagés, Chastain continue avec ce nouveau rôle à dénoncer les dérives de la société américaine et affirme sa position avec des films à impact sur des sujets brûlants. Déterminée à éveiller les consciences, elle affirme : « Je ne peux pas me taire seulement pour continuer à travailler », rappelant combien Hollywood bride parfois les voix dissidentes. A l'image d'autres actrices hollywoodiennes, (Dakota Johnson avec Tea Time Pictures), Chastain a acheté sa liberté d'expression en fondant sa propre compagnie de production, Freckle Films. Son objectif est simple, s'offrir une indépendance créative, choisir ses sujets quand l'industrie refuse de financer des projets. L'actrice serait-elle partie en croisade artistique ?

Jeanne Dielmann rencontre Minority Report

Son arme fatale n'est pas un gadget, mais un esprit aiguisé à la manière d'une lame. Chastain endosse une nouvelle fois un rôle de whistleblower under-cover, dans la veine de Miss Sloane. Cette fois, elle est ex-Marine reconvertie en « geek » pour le FBI, hantée par son passé, et déjoue les actes terroristes en les supprimant dans l’oeuf : un Minority Report version 2025 ? Jo incarne à la fois la mère protectrice middle class et l'héroïne prête à tout pour sauver son pays. La frontière entre sens du devoir et addiction à son travail s'efface. Elle peine à décrocher, même quand l'équilibre de sa vie de famille vacille. Le seul talon d'Achille du character building : la tendance de Jo à trouver des sources d'informations avec une facilité déconcertante, mais on veut y croire et on en redemande !

James Gibson et Chastain savent restituer le quotidien de cette mère discrète aux origines modestes, qui fait de son mieux pour cacher la violence de notre société à ses enfants. C'est le ton de cette mini-série : où se situe la frontière entre le bien et le mal, ce qu'il est autorisé de dire ou ne pas dire ? Cette réflexion est portée par les mères de famille, centrales dans la série ; celle qui combat la radicalisation et celle qui la soutient. Bien qu’opposées en apparence, elles partagent la même obsession, protéger leurs enfants. Cette réalisation aux accents quasi-documentaires retranscrit avec authenticité les défis rencontrés par cette femme du quotidien, qui rédige sa liste de radicaux à la manière d'une liste de courses.

1,2,3 montée en tension !

Dans toute réalisation cinématographique de qualité, on dit souvent que l’on doit « écrire avec ses émotions ». Fidèle à la règle du « show don’t tell », The Savant s’appuie sur une grammaire visuelle visible :plans serrés sur les visages, coupes nerveuses, alternance entre plans fixes et travellings, plutôt que le plan-séquence. James Gibson préfère sculpter le rythme au montage, au plus près de la chair et du souffle. Rien n'est plus bouleversant que de voir les larmes affleurer dans les yeux de Chastain. Comme toujours, elle livre une performance bouleversante d’une intensité rare où chaque regard traduit tension, souffrance... et peur.

Les monstres sous le lit disparaissent-ils lorsqu’on leur donne une voix ? Les horreurs sont-elles plus terrifiantes une fois prononcée ? Rien n’est plus dérangeant que lorsque Jo lit ses messages à voix haute dans le noir face à ses triples écrans ou via la commande vocale de son téléphone. La moindre erreur à portée de clic peut lui être fatale. Chaque mot énoncé résonne comme une menace douce. L’écran devient alors une ligne flottante entre rôle et identité où le caméléon risque d'en perdre ses couleurs.

Le personnage que Jo se construit devient-il son identité ? En jouant avec l’interface numérique, fondus et superpositions, James Gibson dépeint l’addiction aux écrans et met en scène un duel d’influence saisissant. Elle rappelle que même cachés derrière nos ordinateurs, nous restons responsables de nos actes. Dommage que face à des trésors de technique cinématographique, le dénouement ne soit pas tout à fait à la hauteur de la montée en tension.


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Rédacteur en chef Raphaël Casale